BNNE et HEUREUSE ANNÉE
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L'Ancienne
au bois dormant
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Alors, toute découragée de se sentir tellement ancienne, elle décida de se
coucher là, sur le champ, et de dormir. "
Ainsi parlait notre grand-mère.
- Pourquoi sur le champ ?
demandions-nous. Pourquoi pas dans son lit
?
Grand-mère qui avait, en plus de toutes ses vertus, celle de se laisser
interrompre sans colère, répondait :
- Parce qu'elle en avait assez de ce lit.
Elle se coucha donc sur un fagot.
- Un fagot ?
demandait mon frère, déjà passionné par les arbres.
De
châtaignier ? de hêtre, de noyer ?
Et nous, les plus petits, d'ajouter :
- De chocolat ? De bruyère ? Ou de houx ?
Cela, c'était drôle. Ce où de houx imitait les loups, dans une forêt que les
bords de la Garonne, ne contenaient pas vraiment. C'étaient des loups
d'enfance. Des loups tout à fait personnels. Des loups de famille, si j'ose
dire.
Mais grand-mère répondait :
- C'était un fagot de patience. Donc elle
se coucha sur ce fagot, l'Ancienne au bois dormant. Se prépara à dormir
longtemps. Très longtemps.
- C'est doux, la patience ?
- Dur, répondait-elle. Très, très dur.
mais quand on arrive ENFIN à s'y assoupir, c'est mieux que la plume d'oie. Le
satin. Et les flonflons.
Nous étions passionnés :
- Combien de temps elle a dormi,
l'Ancienne ?
- Pas assez, disait grand-mère, qui se
levait tous les matins à cinq heures. Pas assez. Mais, enfin, elle a dormi.
Quelque chose me tarabustait. Qui était donc cette princesse, ou cette reine,
qu'elle appelait l'ANCIENNE ? Une exilée ? Une déchue, comme cette vieille
dame, portant violette et gants (rapetassés, il est vrai, mais beaux), cette
vieille dame menue qui sentait le feu de bois et l'origan et qu'on appelait
" Comtesse " ?
- L'Ancienne, donc, avant de s'endormir,
tira son coffre auprès d'elle. Mit ce qui lui appartenait. Et qui ne pesait pas
lourd : des lettres d'amis. Des faire-part de naissance. D'autres, cerclés de
noir. Entre des " pom-pom-pom-pom ", et des " laisse
tomber de ta bouche divine des mots d'amour sur ce couple pieux ",
toutes les musiques que les hommes ont inventées pour dire leur bonheur ou
leurs larmes. Elle revêtit sa plus jolie robe. Qui n'était pas neuve. Et puis,
elle avait un peu grossi. Mais c'était une robe longue, qui cachait ses
pantoufles. L'Ancienne avait mal aux pieds. Elle s'installa sur le fagot. Ôta
ses lunettes. Pensa à ceux qu'elle avait aimés. Ou qu'elle aimait encore.
Soupira. chantonna un peu. et, ENFIN, s'endormit.
- Et le Prince charmant, grand-mère ? Il
est venu ?
- Bien sûr.
- Pour la réveiller ?
- Surtout pas. Il est venu pour la laisser
dormir en paix.
- Sans l'embrasser ?
- Si, disait grand-mère : il l'embrasse.
Sur le front. Gentiment. Il lui dit : " Je suis le Nouvel An. "
- Et elle, l'Ancienne au bois dormant ?
- C'est l'année écoulée, disait ma
grand-mère. Mais elle est seulement endormie. Avec son coffre, et ses trésors,
au pied du fagot.
Un jour, bien plus tard, elle se réveillera.
-Simone Conduché-
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