Anecdotes d'organistes


Philippe Lécossais
Philippe LECOSSAIS
titulaire de l'orgue de
Rozay-en-Brie
(Seine et Marne)
       

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Philippe LECOSSAIS
titulaire de l'orgue de Rozay-en-Brie (Seine et Marne)
nous conte, comme il sait si bien le faire, quelques anecdotes...

Orgue Yves CABOURDIN


Impro ou pas impro !
 


Je veux vous conter une anecdote de l'office du dimanche 2 Novembre 2007.
" Comme à l'habitude, accompagnement improvisé des chants avec parfois, prélude, postlude, voire interlude, eux aussi improvisés... Une belle Entrée de François Couperin (Kyrie en Taille), à l'Offertoire j'interprète une basse de trompette de Guilain, puis une belle Toccata et fugue de Pachelbel en sortie.
Pas de chant de Communion, je décide donc d'improviser quelque chose de circonstance que je nommerais, a posteriori : " cantilène ", mais cela n'engage que moi. Tous les improvisateurs vous le diront, il y a des jours avec et des jours sans... Malgré tout, je n'étais pas mécontent de mon inspiration développée assez longuement, l'officiant n'ayant vraiment pas l'air pressé !

Après l'office, encore " secoué " par ma toccata et fugue, je descends de mon perchoir et salue diverses personnes, semble t-il plus nombreuses qu'à l'habitude... et qui m'attendent pour me demander de bien vouloir interpréter à nouveau, et à une autre occasion... la pièce jouée lors de la Communion !

J'ai senti mon sang se glacer ; oubliées, envolées les magnifiques pièces de Couperin, de Guilain et autre Pachelbel ! Seule la pièce éphémère - et probablement très banale - de Communion est restée dans les mémoires ; une religieuse admet même avoir été " déconcentrée " dans sa prière en entendant, peut-être même en écoutant, cette pièce jugée comme - sic : " magnifique " ; Horreur ! En d'autres temps, j'aurais risqué le bûcher ! L'officiant, au contraire, avoue avoir été - sic : " transporté " dans sa prière, ce qui explique probablement le fait qu'il " n'avait pas l'air pressé " ; ouf, j'ai échappé au bûcher ! Le but, pour l'organiste, n'est certainement pas d'envoûter les fidèles, mais plus simplement de renforcer, d'accompagner leur prière. Dans le cas présent, l'effet semble partagé... mais fort apprécié.

Un très bon ami, en compagnie duquel j'ai fait une partie de mes études et qui est désormais Professeur de Composition et d'Analyse musicale au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris, a écrit ceci dans le Livre d'Or de l'orgue de Rozay " Les cendres des Couperin doivent tressaillir d'aise dans leur tombeau ". Ce dernier dimanche, les cendres de François Couperin, du Sieur Guilain et de Herr Pachelbel ont dû tressaillir d'effroi... ".

Voilà comment un simple office dominical peut se révéler être très valorisant pour l'organiste qui a " les chevilles déjà fort enflées ", ou très frustrant pour un modeste organiste de province comme moi.
Alors, la question demeure : Impro ou pas impro ? Je crois tout de même que je continuerai à improviser.

Il faut toujours garder le sourire... même devant la vérité la plus vivante !

Philippe Lécossais
Titulaire à Rozay-en-Brie (Seine et Marne)


La  dame à la voilette
 


A toi qui souhaite livrer au monde entier les anecdotes des organistes internautes, je te livre ce qui fut probablement ma plus difficile expérience de jeune organiste.

" Cela s'est produit dans ma jeunesse, alors que j'aidais quelque peu (et aussi pour quelques sous) l'organiste titulaire du grand Cavaillé-Coll de l'Abbaye de Fécamp (pour situer, penser " Bénédictine - la liqueur ").

Ce jour là, j'avais été mandé pour une inhumation et la famille était fort peu nombreuse. A ma grande tristesse le prêtre m'avait demandé de prendre l'orgue de choeur (Cavaillé-Coll aussi) plutôt que le Grand Orgue, fort éloigné dans l'immense édifice. Finie la lecture des bandes dessinées derrière le faux positif de dos et ses sages chanoines, j'étais en fait dans la ligne de mire de la " foule très éparse et anonyme "...

La cérémonie se déroulait simplement comme à l'habitude, avec ses sanglots et reniflements divers.
Pendant un chant qui tournait au soliloque puis à l'hécatombe, j'ai obliqué la tête vers l'assistance, peut-être par dépit ; c'est alors que j'ai vu cette grand-mère qui se mouchait, puis j'ai senti mon sang se glacer. Il faut savoir qu'à l'époque, la femme en grand deuil portait une voilette. Vous l'avez compris, ma vision d'effroi était bien une pauvre vieille se mouchant dans son mouchoir, mais au travers de sa voilette, dont elle avait oublié la présence exceptionnelle... puis tentant avec toutes les peines du monde de nettoyer le résultat...

Moi, bien à la vue de tous, je sautillais de rire tout en essayant de ramasser un à un les lambeaux du cantique en cours. Penser à autre chose était impossible, me mordre les lèvres ou encore la langue ne fut pas plus efficace, et c'est dans des soubresauts dignes de Saint Guy que je portai le coup de grâce aux ruines du dit cantique. Dans cette affaire, je n'étais pas aidé par le prêtre qui avait assisté à la scène et possédait la même maladie que moi, avec la chance de pouvoir faire semblant de se cacher derrière son missel !
Je fus obligé de présenter mes excuses à la famille qui ne m'en tint pas rigueur car un monsieur me répondit, sic : " nous aussi on a bien rigolé ".

L'honneur était donc sauf, car en fait tout le monde s'était bien amusé durant cette inhumation ; peut-être pas tout de même cette pauvre grand-mère à la voilette maculée. "
Que l'on est bien, à l'abri derrière un positif de dos...
Tu me croiras si tu veux, mais à nouveau Saint Guy est venu me trouver alors que je tapais cette anecdote sur mon clavier !

Philippe Lécossais
Titulaire à Rozay-en-Brie (Seine et Marne)


Le pigeon mélomane
 

Un bel après-midi je venais travailler quelques pièces à l'orgue de Rozay,
Il vint se poser sur le buffet du grand orgue, puis s'en retourna à d'autres occupations dans le chœur.

J'ouvris le grand portail pour qu'il retrouve sa liberté, et commençai à jouer ;
l'oiseau vint se poser sur les sculptures historiques de l'orgue. Puis, dans un vol plané dont il dominait visiblement la science, sur la balustrade, à ma droite.
Tentant de rester concentré, je continuais d'égrener les notes. Le volatile passa en rase-mottes au-dessus de ma tête : son vol plané, de plus en plus bas, finit par mettre en désordre mon indéfrisable...

Les limites de ma patience dépassées, je lui demandai poliment pourquoi cet acharnement à mon égard. Il resta planté sur ses pattes, me regardant lorsque je restais muet et marchant de long en large en roucoulant quand je lui parlais. Sans réponse, l'oeil aux aguets, je repris le travail...
                   ...et l'oiseau vint se poser sur l'extrémité de mon banc.


Redoutant une agression sauvage, je regardai l'intrus avec stupeur, et lui demandai d'expliquer ce comportement pour le moins contraire à la loi des pigeons. Il s'accroupit sur le banc, le regard dans le vague.

Des amateurs d'orgue viennent du monde entier voir le grand instrument de Rozay, mais un comme cela je n'en ai jamais vu ! De plus, nous n'avions pas rendez-vous ! Et un cours d'orgue sur les trois claviers tricentenaires serait ardu pour les papattes de la bête...

Sûr de lui faire peur, je fis chanter quelques tuyaux tout en soliloquant avec mon visiteur, en vérité courtois ; pas une plume ne bougea. Au péril de ma vie, prêt à subir d'atroces représailles, je posai ma main sur le dos de l'oiseau, le retournai pour voir s'il était bagué : rien, pas même un collier ! Mon nouvel ami resta d'un calme étonnant - sans doute pensait-il qu'un organiste ne peut être vraiment méchant.

Je portai mon admirateur sur le parvis.
Il descendit quelques marches en sautillant puis prit un bel envol, sans se retourner. La politesse se perd !

Ne maîtrisant pas la langue pigeonne, je ne saurais dire ce que voulait ce pigeon mélomane,
mais il est certain qu'il n'avait pas une cervelle de moineau !

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