Au Xè siècle, l'éclosion des édifices religieux dans tout l'Occident chrétien transforme le paysage. En Bourgogne, Normandie, Italie ou Bavière, la création romane emprunte les formes les plus diverses. Or les concepts traditionnels légués par le romantisme du XIXè siècle, qui font se succéder aux formes rondes, murs épais et édifices peu éclairés du roman, les ogives, arcs-boutants et verrières du gothique, n'abordent cette architecture que sous l'angle des prouesses avancées techniques.
L'architecture, une liturgie de pierre |
Pour une nouvelle génération de médiévistes, l'évolution du roman répond bien à d'autres critères. Il y a d'abord, bien sûr, le perfectionnement des savoir-faire, ancrés dans la réalité historique. Maçons et tailleurs de pierre sont les hommes clés de l'art roman. Grâce à la mise au point d'outils de fer plus performants, ils participent pleinement au " développement du bel appareil ", l'opus quadratum. Leur connaissance des qualités physiques de la pierre, alliée à une grande maîtrise de la taille et de l'agencement des blocs, va conduire au développement d'une architecture à parements lisses et réguliers. Et au développement des voûtes de pierre, qui peu à peu remplacent les charpentes de bois pour couvrir les sanctuaires. |
Mais
il y a aussi, dans cette nouvelle architecture, une dimension humaine et
spirituelle. Au moment de son plein épanouissement, au XIIè siècle, la
liturgie s'impose comme un élément fondamental dans l'élaboration et la
transformation du plan des édifices religieux. Depuis la crypte souterraine et
chtonienne où s'enracine le sanctuaire, les reliques tant vénérées des
fidèles vont émerger des profondeurs ténébreuses pour mieux jaillir vers la
lumière. Elles seront désormais célébrées dans les parties supérieures de
l'édifice. Déambulatoires et galeries naîtront ainsi dans le choeur et autour
du maître autel.
Cette modification des espaces et de la structure des églises entraîne une
surélévation des voûtes jusqu'à atteindre d'audacieuses performances, comme
dans l'abbatiale de Cluny, où le vaisseau central s'élève à trente mètres
de haut.
Voûte en cul-de-four |
Voûte en berceau plein cintre |
La
voûte -------------- Connue
depuis l'époque romaine, la voûte est essentiellement utilisée dans les
cryptes au cours de la période carolingienne. A partir de l'an mil, elle
quitte le sanctuaire pour s'élever et atteindre le transept puis la nef. |
Voûte en berceau brisé |
Voûte sur croisée d'ogives |
Déambulatoire de la Basilique de Vézelay |
Le
déambulatoire ------------------------- Apparu pour faciliter la circulation des fidèles autour des reliques, dans le sanctuaire des grandes églises de pèlerinage comme Saint-aignan d'Orléans et, plus tard, Sainte-Foy de Conques ou Saint-Jacques de Compostelle, ce vaste couloir circulaire entoure le maître-autel. Sa nouvelle présence témoigne également d'un nouveau développement du culte des reliques. le saint est associé à la célébration de l'eucharistie, sommet de la liturgie, au coeur du sanctuaire. |
Crypte de la cathédrale st Etienne d'Auxerre |
La crypte ----------------- Du début du IXè à la fin du XIIè siècle, la crypte - qui désigne dès le Moyen Age un espace voûté - est encore assez présente dans les abbayes et prieurés qui abritent des reliques. des foules avides de guérison et de protection divine s'entassent dans ces constructions souterraines pour accéder aux restes sacrés des différents saints et martyrs. Dès que les précieux vestiges seront transférés dans les châsses et reliquaires présentés dans l'enceinte de l'église, les cryptes disparaîtront des nouvelles constructions. |
A Vézelay, reliquaire de Ste Marie-Madeleine |
Reliquaire dit Lanterne de Bégon à Sainte-Foy, Conques. |
Les reliques ------------------ Le culte des reliques assure renommée et prospérité aux sanctuaires qui en possèdent. Vers elles affluent pèlerins et dons. Objets de vénération, les vestiges des " saints " sont exposés sous forme de corps entiers, de membres (pied, main, doigt), ou de fragments de squelettes. On vénère saint Bénigne à Dijon. Dans l'abbaye de Cluny, on vient se recueillir devant les " cendres " des apôtres saint Pierre et saint Paul, rapportées de Rome après 980, probablement par saint Maïul. |
Architecture entre ciel et terre
Comprendre ici
Chapelle de Berzé-la-Ville |
Le cercle ------------------ Figure parfaite par excellence, le cercle, très présent dans l'architecture voûtée de l'époque romane, est couronnement céleste. Intemporalité et éternité. La coupole coiffe l'église de toute se rotondité bienveillante. Elle évoque aussi le lien très fort entretenu avec les lieux saints de Palestine, souvent "copiés" au Moyen Age. Bien des édifices circulaires, en rotonde ou plan centré, veulent reproduire le Saint-Sépulcre de Jérusalem. Une de plus prestigieuses église romanes de Cologne (la ville d'Occident qui a conservé la plus grande quantité d'édifices romans) est, à quelques centimètres près, la copie conforme du plan de l'église de la nativité. Dans les absides, le cul-de-four, par concavité, évoque naturellement le ciel. C'est là que figure l'image du Christ, comme dans la chapelle de Berzé-la-ville (ci-contre), où se réfugia à la fin de vie Hugues de Semur, abbé de Cluny, chapelle qui reste un des seuls témoignages des fresques qui ornaient la célèbre abbaye. |
Chapiteaux du choeur à Cluny gauche
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Chiffres
et colonnes ------------------------------------- Des nefs à six pilliers de part et d'autre du vaisseau, ce qui fait douze. Douze comme le nombre des apôtres. Parfois retrouvés peints à même le pilier, en une double symbolique. Ne dit-on pas des apôtres qu'ils sont les piliers de l'Église ? Pas seulement l'édifice mais la communauté des fidèles. Le Moyen Age reprend les textes sacrés et les gloses. Saint Paul parle déjà sous forme de parabole. Il évoque la métaphore du Christ et de la clé de voûte. Nul étonnement, alors, à trouver fréquemment dans les clés au sommet des voûtes la représentation soit d'un Christ, soit d'un agneau qui le symbolise. Les nombres ont joué un rôle capital dans l'exégèse médiévale. Le huit, l'octonaire, chiffre de la béatitude ; le cinq, symbole de l'homme, ou encore le dix, somme de tous les nombres, et signe de Dieu. En 1130 l'abbé Suger avait demandé que Saint-Denis "soit reconstruite à l'aide des instruments de la géométrie et de l'arithmétique", afin qu'elle s'accorde aux harmonies sublimes de la nature. A Cluny, des religieux étaient chargés de l'édifice lors de l'agrandissement de la basilique par un expert en recherche des harmonies numériques. Les chapiteaux du choeur (ci-contre), aujourd'hui conservés au farinier de l'abbaye, sont au nombre de huit et déclinent une complexe symbolique des nombres : les quatre vents, les quatre arbres et quatre fleuves du paradis, les huit tons de la musique grégorienne... |
Reconstitution virtuelle du Transept de Cluny III |
La
lumière --------------------- Elle est la manifestation sensible de la présence divine. en traversant le verre, elle l'anime. Comme un souffle. On a souvent dit que l'époque gothique était l'époque de la lumière. Mais le XIè siècle n'est pas un siècle obscur. il y a déjà les vitraux à l'époque romane. Et même à l'époque carolingienne, dès le VIIè siècle. La lumière romane est multiple. Le transept de Cluny III, aujourd'hui disparu en a été l'accomplissement jamais égalé. Georges Duby écrivait : " La fonction de la lumière est la même dans l'église et dans la chanson courtoise, l'impalpable échelle de l'amour. " Venant du soleil levant, elle symbolise le retour du Christ à la fin des temps. |
Plan au sol de la Major écclesia Cluny III |
La
croix ----------------- Dans les plans des églises, sa symbolique est évidente. La croix, supplice du Christ. Crois latine, croix grecque, il n'y a jamais d'exclusivité dans le plan architectural. S'il est une règle au Moyen Age, c'est bien de ne pas systématiser. Rien n'est figé. Et la présence en plan d'une croix grecque ou latine ne doit pas être surinterprétée. On a cru voir, par exemple, dans le désaxement de certains édifices, la métaphore de l'inclinaison de la tête du Christ après sa mort. Des études archéologiques détaillées ont montré qu'il correspondait en réalité à des contraintes géographiques. Quant à la croix latine à double traverse (croix de Lorraine ou d'Anjou), elle témoigne des ambitions énormes qu'avait, par exemple, la communauté de l'abbaye de Cluny, avec une multiplication des autels dédiés aux dizaines de messes qui y étaient dites. Avec le voyage en Terre sainte, la croix revêtira une signification particulière. cousue sur le vêtement, elle annonce ceux qui vont vers le Golgotha. les porteurs de l'insigne deviennent Christ à leur tour. |
Cluny III Elle fut la plus vaste église d'Occident, témoignant du fabuleux rayonnement de l'ordre dans toute l'Europe, avec son millier de prieurés. Détruite à la Révolution, il n'en subsiste plus aujourd'hui, qu'un clocher et quelques bâtiments annexes. |
Le
carré --------------- Si le Moyen Age accorde des vertus aux nombres, il en fait de même pour les figures géométriques simples. S'offre alors une telle diversité d'interprétations - positives ou négatives - qu'il est bien difficile d'en proposer une seule. Parmi les quadrilatères, le carré est celui qui possède les proportions de la perfection. Certains ont mis en rapport les quatre côtés du carré avec les quatre Évangiles. Dans les angles des travées, on retrouvait d'ailleurs parfois la représentation des quatre évangélistes, Matthieu, Luc, Marc et Jean. Mais à cette quadrature, croisée orthogonale des axes de l'Univers, ont également été associés, les quatre éléments, les quatre points cardinaux, les quatre fleuves du paradis, les quatre jardins d'Éden, ou encore les quatre vertus cardinales... |
Griffons
et dragons contorsionnés, sirènes lascives, entrelacs barbares. le souvenir
d'anciens cultes païens semble hanter l'art religieux du XIè siècle.
D'où viennent-ils ?
ici
Plafond de Saint-Martin à Zillis en Suisse La Serpente Mélusine |
La Serpente Mélusine ---------------------------------------- Les
sirènes-poissons, dont l'image se perd dans un vieux fonds légendaire
britannique ou irlandais, sont récupérées par l'art religieux qui en
fait des tentatrices séduisantes et dangereuses. Tout comme les
sirènes, Mélusine fait partie de ces personnages ambigus issus des
mythes celtiques. |
Abbaye de Vézelay DAniel dans la gosse aux lions |
Les lions de Sumer ---------------------------------- Daniel dans la fosse aux lions La
figure de Daniel dans la fosse aux lions a souvent été interprétée
comme une réminiscence d'anciens mythes mésopotamiens, tant elle
semble imitée de la figure de Gilgamesh. Le saint chrétien figure dans
une mandorle, qui semble le protéger. |
Le Mythe d'Orson et les hommes sauvages ici
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Christ
farouches, armés de lances et de glaives, l'art roman se forge dans un monde
que la brutalité des homme de guerre écrase de tout son poids.
En
savoir plus
ici
Apocalypse de l'abbaye de Saint Amand XIè siècle |
Le
Messie à la lance -------------------------------------- C'est dans une société seigneuriale, dominée par les chefs de guerre, que naît cette vision étonnante d'un Christ armé, chevauchant sa monture. Pour mieux comprendre ici |
David et Goliath |
Le
bras armé du châtiment ----------------------------------------------- Une
grande violence sourd dans toute l'imagerie romane. Ci-contre, David
tanche la gorge d'un Goliath en cotte de mailles, au sommet d'un pilier
de Vézelay. Les chevaliers du Christ ici |
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HAUT de PAGE
Le monument roman se lit comme une partition symbolique, où
s'exprimerait l'ordre divin, la représentation du cosmos et celle du
microcosme humain. Les éléments d'architecture parvenus jusqu'à nous
ont autant la vision spirituelle et religieuse d'une époque que la
transcription d'une structure d'esprit aujourd'hui largement perdue.
" Que l'édifice contienne une hiérarchie, un sens articulé,
qu'il soit à la fois figuration symbolique et équivalence
arithmétique de l'Écriture, est une permanence ", écrit
Georges Duby. " Et ce qui est permanent dans l'esprit de l'homme
roman, ce sont les Écritures ", précise Dany Sandron,
professeur d'histoire de l'art à Paris-IV. |
Mais d'où viennent-ils ces monstres hybrides, ces griffons affronts,
ces visages aux traits naïfs rappelant les héros des premières
civilisations, toutes ces figures étranges qui hantent es chapiteaux et
architraves des églises romanes ? Le XIè siècle à peine sorti des
brumes de la sauvagerie, serait-il encore imprégné de culture barbare
?
" Beaucoup l'ont cru, dont moi, précise Marcello Angheben,
historien médiéviste à l'université de poitiers.
Malgré le
faible intérêt porté par les historiens français aux chapiteaux des
églises romaines, l'hypothèse selon laquelle l'art roman aurait puisé
son inspiration dans le folklore et les mythologies anciennes, voire
antiques, a été très en vogue dans les années 1970, avec le
mouvement new ge.
"
Daniel
dans la fosse aux lions Si l'existence d'un lien culturel et historique entre les sculpteurs romans et le héros mésopotamien est peu probable - les derniers scribes capables de lire l'écriture cunéiforme ont disparu à l'aube de notre ère -, l'influence orientale n'est cependant pas à exclure. Mais il s'agit essentiellement d'une influence iconographique. "On repère très tôt dans l'art roman des figures d'inspiration clairement orientale, précise Marcello Angheben. Avant même les croisades, il existait un trafic relativement intense de reliques en provenance du levant qui arrivaient souvent emballées, non pas dans du papier journal, mais dans des tissus précieux coptes, byzantins, arabes ou sassanides, et parfois accompagnées d'objets décorés des mêmes motifs. Parmi eux, les griffons notamment ont inspiré les sculpteurs qui les ont réutilisés abondamment ds leurs décorations". Sauterelles et
Dragons Le
lion et l'ours Mélusine La
sirène |
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Le mythe d'Orson et les hommes sauvages
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A l'époque romane, les pèlerinages sont un " phénomène de masse qui ouvre la France au monde ". Mais pour garder les chemins de la Terre sainte et protéger les hommes venus de toute la chrétienté, une institution originale apparaît en Orient. Il s'agit des ordres religieux militaires : les milites Christi, chevaliers du Christ, soldats de la guerre sainte. S'ils vivent comme des moines, selon la règle de saint Benoît ou de saint Augustin, ils agissent comme des militaires. Pas dans les excès seigneuriaux des détenteurs du ban - plus brigands que chevaliers -, mais dans les règles de la chevalerie du Christ " revêtus de l'armure de fer et de l'armure de foi ", que décrit l'un de ses plus éminents spécialistes, Alain Demurger, maître de conférences à l'université Paris I. Fondé à Jérusalem, en 1120, le premier ordre sera celui du Temple auquel succéderont ceux de l'Hôpital, de Saint-Lazare, Teutonique, et, parallèlement dans la péninsule ibérique, les ordres de Calatrava, Santiago, Alcantara et Avis. RETOUR |
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Gilgamesh est le seigneur d'Ourouk en Mésopotamie. Pour deux tiers dieu et un tiers homme, il tire tant de vanité de sa nature, que les dieux, pour rabattre sa superbe, créent le guerrier Enkidou, dont la force égale la sienne. Au cours de la première rencontre, ils se livrent un terrible combat puis, devenus amis inséparables, ils se rendent ensemble dans la grande forêt pour tuer Khumbaba, " le Grand Mal ". A leur retour, la déesse Ishtar demande à Gilgamesh de l'épouser, mais celui-ci refuse. Folle de colère, elle demande à Anou, son père, d'envoyer un taureau céleste pour ravager le pays. Gilgamesh et Enkidou le mettent en pièce. Mais les héros devront payer ce crime. Enkidou tombe malade et meurt. Gilgamesh se met en route pour consulter Outa-napishtoim, l'ancêtre de l'humanité, afin de savoir pourquoi les hommes sont condamnés à mourir. Son voyage le mène par-delà les limites de la terre et, au retour, il découvre une plante qui rend la jeunesse aux vieillards. Hélas, un jour, alors qu'il s'est arrêté au bord d'une fontaine pour étancher sa soif, un serpent dérobe le rameau magique. Depuis lors, les serpents se régénèrent par la mue, mais les humains continuent de vieillir. RETOUR |