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La liturgie de pierre

Au Xè siècle, l'éclosion des édifices religieux dans tout l'Occident chrétien transforme le paysage. En Bourgogne, Normandie, Italie ou Bavière, la création romane emprunte les formes les plus diverses. Or les concepts traditionnels légués par le romantisme du XIXè siècle, qui font se succéder aux formes rondes, murs épais et édifices peu éclairés du roman, les ogives, arcs-boutants et verrières du gothique, n'abordent cette architecture que sous l'angle des prouesses avancées techniques.




L'architecture,
une liturgie de pierre

Pour une nouvelle génération de médiévistes, l'évolution du roman répond bien à d'autres critères. Il y a d'abord, bien sûr, le perfectionnement des savoir-faire, ancrés dans la réalité historique. Maçons et tailleurs de pierre sont les hommes clés de l'art roman. Grâce à la mise au point d'outils de fer plus performants, ils participent pleinement au " développement du bel appareil ", l'opus quadratum. Leur connaissance des qualités physiques de la pierre, alliée à une grande maîtrise de la taille et de l'agencement des blocs, va conduire au développement d'une architecture à parements lisses et réguliers. Et au développement des voûtes de pierre, qui peu à peu remplacent les charpentes de bois pour couvrir les sanctuaires.

Mais il y a aussi, dans cette nouvelle architecture, une dimension humaine et spirituelle. Au moment de son plein épanouissement, au XIIè siècle, la liturgie s'impose comme un élément fondamental dans l'élaboration et la transformation du plan des édifices religieux. Depuis la crypte souterraine et chtonienne où s'enracine le sanctuaire, les reliques tant vénérées des fidèles vont émerger des profondeurs ténébreuses pour mieux jaillir vers la lumière. Elles seront désormais célébrées dans les parties supérieures de l'édifice. Déambulatoires et galeries naîtront ainsi dans le choeur et autour du maître autel.
Cette modification des espaces et de la structure des églises entraîne une surélévation des voûtes jusqu'à atteindre d'audacieuses performances, comme dans l'abbatiale de Cluny, où le vaisseau central s'élève à trente mètres de haut.



Voûte
en cul-de-four


Voûte en berceau
plein cintre
La voûte
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Connue depuis l'époque romaine, la voûte est essentiellement utilisée dans les cryptes au cours de la période carolingienne. A partir de l'an mil, elle quitte le sanctuaire pour s'élever et atteindre le transept puis la nef.
De l'emplacement le plus privilégié, le maître -autel et le choeur, elle s'étend ainsi en direction de la partie occupée par les fidèles, se substituant aux anciennes charpentes en bois. Par ce voûtement de pierre continu qui se propage à l'ensemble de l'édifice, le peuple des laïcs est associé à l'unité que recherche l' Église.
Longtemps la structure des voûtes a été tenue pour le critère déterminant de l'architecture romane puis gothique, mais, comme le rappelle l'historienne de l'art Anne Prache, les mozarabes, chrétiens espagnols s'inspirant de l'art musulman, utilisaient déjà des ogives primitives.



Voûte
en berceau brisé


Voûte
sur croisée d'ogives

 


Déambulatoire de la Basilique de Vézelay
Le déambulatoire
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Apparu pour faciliter la circulation des fidèles autour des reliques, dans le sanctuaire des grandes églises de pèlerinage comme Saint-aignan d'Orléans et, plus tard, Sainte-Foy de Conques ou Saint-Jacques de Compostelle, ce vaste couloir circulaire entoure le maître-autel. Sa nouvelle présence témoigne également d'un nouveau développement du culte des reliques. le saint est associé à la célébration de l'eucharistie, sommet de la liturgie, au coeur du sanctuaire.

 



Crypte de la cathédrale
st Etienne d'Auxerre
La crypte
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Du début du IXè à la fin du XIIè siècle, la crypte - qui désigne dès le Moyen Age un espace voûté - est encore assez présente dans les abbayes et prieurés qui abritent des reliques. des foules avides de guérison et de protection divine s'entassent dans ces constructions souterraines pour accéder aux restes sacrés des différents saints et martyrs. Dès que les précieux vestiges seront transférés dans les châsses et reliquaires présentés dans l'enceinte de l'église, les cryptes disparaîtront des nouvelles constructions.

 


A Vézelay, reliquaire de
Ste Marie-Madeleine


Reliquaire dit Lanterne de Bégon à Sainte-Foy, Conques.
Les reliques
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Le culte des reliques assure renommée et prospérité aux sanctuaires qui en possèdent. Vers elles affluent pèlerins et dons. Objets de vénération, les vestiges des " saints " sont exposés sous forme de corps entiers, de membres (pied, main, doigt), ou de fragments de squelettes. On vénère saint Bénigne à Dijon. Dans l'abbaye de Cluny, on vient se recueillir devant les " cendres " des apôtres saint Pierre et saint Paul, rapportées de Rome après 980, probablement par saint Maïul.

Architecture entre ciel et terre

Comprendre    ici 


Chapelle de Berzé-la-Ville
Le cercle
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Figure parfaite par excellence, le cercle, très présent dans l'architecture voûtée de l'époque romane, est couronnement céleste. Intemporalité et éternité. La coupole coiffe l'église de toute se rotondité bienveillante. Elle évoque aussi le lien très fort entretenu avec les lieux saints de Palestine, souvent "copiés" au Moyen Age. Bien des édifices circulaires, en rotonde ou plan centré, veulent reproduire le Saint-Sépulcre de Jérusalem. Une de plus prestigieuses église romanes de Cologne (la ville d'Occident qui a conservé la plus grande quantité d'édifices romans) est, à quelques centimètres près, la copie conforme du plan de l'église de la nativité. Dans les absides, le cul-de-four, par concavité, évoque naturellement le ciel. C'est là que figure l'image du Christ, comme dans la chapelle de Berzé-la-ville (ci-contre), où se réfugia à la fin de vie Hugues de Semur, abbé de Cluny, chapelle qui reste un des seuls témoignages des fresques qui ornaient la célèbre abbaye.

 

Chapiteaux du choeur
à Cluny
   
  gauche


droite

Chiffres et colonnes
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Des nefs à six pilliers de part et d'autre du vaisseau, ce qui fait douze. Douze comme le nombre des apôtres. Parfois retrouvés peints à même le pilier, en une double symbolique. Ne dit-on pas des apôtres qu'ils sont les piliers de l'Église ? Pas seulement l'édifice mais la communauté des fidèles. Le Moyen Age reprend les textes sacrés et les gloses. Saint Paul parle déjà sous forme de parabole. Il évoque la métaphore du Christ et de la clé de voûte. Nul étonnement, alors, à trouver fréquemment dans les clés au sommet des voûtes la représentation soit d'un Christ, soit d'un agneau qui le symbolise. Les nombres ont joué un rôle capital dans l'exégèse médiévale. Le huit, l'octonaire, chiffre de la béatitude ; le cinq, symbole de  l'homme, ou encore le dix, somme de tous les nombres, et signe de Dieu. En 1130 l'abbé Suger avait demandé que Saint-Denis "soit reconstruite à l'aide des instruments de la géométrie et de l'arithmétique", afin qu'elle s'accorde aux harmonies sublimes de la  nature. A Cluny, des religieux étaient chargés de l'édifice lors de l'agrandissement de la basilique par un expert en recherche des harmonies numériques. Les chapiteaux du choeur (ci-contre), aujourd'hui conservés au farinier de l'abbaye, sont au nombre de huit et déclinent une complexe symbolique des nombres : les quatre vents, les quatre arbres et quatre fleuves du paradis, les huit tons de la musique grégorienne...

 


Reconstitution virtuelle
du Transept de Cluny III
La lumière
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Elle est la manifestation sensible de la présence divine. en traversant le verre, elle l'anime. Comme un souffle. On a souvent dit que l'époque gothique était l'époque de la lumière. Mais le XIè siècle n'est pas un siècle obscur. il y a déjà les vitraux à l'époque romane. Et même à l'époque carolingienne, dès le VIIè siècle. La lumière romane est multiple. Le transept de Cluny III, aujourd'hui disparu en a été l'accomplissement jamais égalé. Georges Duby écrivait : " La fonction de la lumière est la même dans l'église et dans la chanson courtoise, l'impalpable échelle de l'amour. " Venant du soleil levant, elle symbolise le retour du Christ à la fin des temps.

 


Plan au sol
de la Major écclesia
 Cluny III
La croix
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Dans les plans des églises, sa symbolique est évidente. La croix, supplice du Christ. Crois latine, croix grecque, il n'y a jamais d'exclusivité dans le plan architectural. S'il est une règle au Moyen Age, c'est bien de ne pas systématiser. Rien n'est figé. Et la présence en plan d'une croix grecque ou latine ne doit pas être surinterprétée. On a cru voir, par exemple, dans le désaxement de certains édifices, la métaphore de l'inclinaison de la tête du Christ après sa mort. Des études archéologiques détaillées ont montré qu'il correspondait en réalité à des contraintes géographiques. Quant à la croix latine à double traverse (croix de Lorraine ou d'Anjou), elle témoigne des ambitions énormes qu'avait, par exemple, la communauté de l'abbaye de Cluny, avec une multiplication des autels dédiés aux dizaines de messes qui y étaient dites. Avec le voyage en Terre sainte, la croix revêtira une signification particulière. cousue sur le vêtement, elle annonce ceux qui vont vers le Golgotha. les porteurs de l'insigne deviennent Christ à leur tour.

 


Cluny III
Elle fut la plus vaste église d'Occident, témoignant du fabuleux rayonnement de l'ordre dans toute  l'Europe, avec son millier de prieurés. Détruite à la Révolution, il n'en subsiste plus aujourd'hui, qu'un clocher et quelques bâtiments annexes.
Le carré
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Si le Moyen Age accorde des vertus aux nombres, il en fait de même pour les figures géométriques simples. S'offre alors une telle diversité d'interprétations - positives ou négatives - qu'il est bien difficile d'en proposer une seule. Parmi les quadrilatères, le carré est celui qui possède les proportions de la perfection. Certains ont mis en rapport les quatre côtés du carré avec les quatre Évangiles. Dans les angles des travées, on retrouvait d'ailleurs parfois la représentation des quatre évangélistes, Matthieu, Luc, Marc et Jean. Mais  à cette quadrature, croisée orthogonale des axes de l'Univers, ont également été associés, les quatre éléments, les quatre points cardinaux, les quatre fleuves du paradis, les quatre jardins d'Éden, ou encore les quatre vertus cardinales...

Sirènes et dragons

Griffons et dragons contorsionnés, sirènes lascives, entrelacs barbares. le souvenir d'anciens cultes païens semble hanter l'art religieux du XIè siècle.
D'où viennent-ils ? 
  ici  



Plafond de Saint-Martin
à Zillis en Suisse



La Serpente Mélusine
La Serpente Mélusine
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Les sirènes-poissons, dont l'image se perd dans un vieux fonds légendaire britannique ou irlandais, sont récupérées par l'art religieux qui en fait des tentatrices séduisantes et dangereuses. Tout comme les sirènes, Mélusine fait partie de ces personnages ambigus issus des mythes celtiques.
La légende de Mélusine  ici 
Cette légende, rédigée pour la première fois au XIVè siècle mais connue depuis fort longtemps à l'époque, supporte plusieurs interprétations. La plus évidente du point de vue des artistes romans concerne la menstruation, période pendant laquelle, selon la bible, les femmes sont impures et ne doivent pas être approchées. Le demi-corps de serpent de la fée est un appel du Tentateur au jardin d'Éden. Quant à la malédiction du samedi, le Sabbat, elle est une allusion antijuive transparente et révélatrice de la haine cléricale dès le début du XIIè siècle pour atteindre son paroxysme avec les grandes expulsions du XIIIè. En fait, le mythe celtique a été tellement christianisé qu'il est presque impossible au Moyen Age d'en connaître l'histoire originale.
Mélusine, en savoir plus   ici 
Les sirènes   ici 


Abbaye de Vézelay
DAniel dans la gosse aux lions
Les lions de Sumer 
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Daniel dans la fosse aux lions

La figure de Daniel dans la fosse aux lions a souvent été interprétée comme une réminiscence d'anciens mythes mésopotamiens, tant elle semble imitée de la figure de Gilgamesh. Le saint chrétien figure dans une mandorle, qui semble le protéger.
La légende de Gilgamesh    ici 
Pour en savoir plus
   ici 


Le Mythe d'Orson et les hommes sauvages  
   ici 

 

Par le glaive et la croix

Christ farouches, armés de lances et de glaives, l'art roman se forge dans un monde que la brutalité des homme de guerre écrase de tout son poids.
En savoir plus    ici 


Apocalypse de l'abbaye de Saint Amand
XIè siècle
Le Messie à la lance
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C'est dans une société seigneuriale, dominée par les chefs de guerre, que naît cette vision étonnante d'un Christ armé, chevauchant sa monture.

Pour mieux comprendre      ici  



David et Goliath
Le bras armé du châtiment
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Une grande violence sourd dans toute l'imagerie romane. Ci-contre, David tanche la gorge d'un Goliath en cotte de mailles, au sommet d'un pilier de Vézelay.

Les chevaliers du Christ    ici 

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Comprendre


Architecture entre ciel et terre

Le monument roman se lit comme une partition symbolique, où s'exprimerait l'ordre divin, la représentation du cosmos et celle du microcosme humain. Les éléments d'architecture parvenus jusqu'à nous ont autant la vision spirituelle et religieuse d'une époque que la transcription d'une structure d'esprit aujourd'hui largement perdue. " Que l'édifice contienne une hiérarchie, un sens articulé, qu'il soit à la fois figuration symbolique et équivalence arithmétique de l'Écriture, est une permanence ", écrit Georges Duby. " Et ce qui est permanent dans l'esprit de l'homme roman, ce sont les Écritures ", précise Dany Sandron, professeur d'histoire de l'art à Paris-IV.
L'architecture serait donc une citation d'éléments de l'Ancien et du Nouveau testament, et notamment de l'Apocalypse. Une symbolique prospective tournée vers l'avenir, le paradis et la Jérusalem céleste. " Une manière aussi de multiplier les moyens mnémotechniques, les formes de raisonnement ", poursuit le médiéviste. Des formules simples qui pouvaient se résoudre en suite de nombres, de chiffres, de couleurs, de lettres et qui, une fois assimilés - dans un monde peuplé surtout d'illettrés - permettaient à ceux qui en détenaient le savoir de psalmodier des récits complets.
L'esprit médiéval a privilégié ces modes de fonctionnement et de condensés de la pensée. Chiffres et nombres y avaient une très grand importance. Pour paraphraser Georges Duby, "l'Église n'était-elle pas un réseau de chiffres, destiné à emprisonner l'esprit pour l'attirer à Dieu ?". Pour l'homme roman, l'arithmétique, la géométrie et l'astronomie n'étaient que les servantes de la musique et de son étude. L'abbaye de Cluny, lieu phare de l'époque romane, semble ainsi construite sur une trame d'accords arithmétiques.   RETOUR  

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


D'où viennent-ils ?


Sirènes et dragons, monstres et griffons

Mais d'où viennent-ils ces monstres hybrides, ces griffons affronts, ces visages aux traits naïfs rappelant les héros des premières civilisations, toutes ces figures étranges qui hantent es chapiteaux et architraves des églises romanes ? Le XIè siècle à peine sorti des brumes de la sauvagerie, serait-il encore imprégné de culture barbare ? " Beaucoup l'ont cru, dont moi, précise Marcello Angheben, historien médiéviste à l'université de poitiers. Malgré le faible intérêt porté par les historiens français aux chapiteaux des églises romaines, l'hypothèse selon laquelle l'art roman aurait puisé son inspiration dans le folklore et les mythologies anciennes, voire antiques, a été très en vogue dans les années 1970, avec le mouvement new ge. "
Par bien des aspects, la statuaire et les reliefs romans semblent en effet surgir d'un néant historique étendu sur plusieurs siècles, depuis la fin de l'Empire romain d'Occident jusqu'à l'émergence du Saint empire romain germanique. Peu de représentations monumentales à l'époque de Charlemagne, rien en tout cas qui annoncerait l'extraordinaire essor artistique des XIè et XIIè siècle. La splendeur romane, qui précède de 200 ans celle du gothique, est une sorte de renaissance avant l'heure de la culture, elle entérine par la pierre l'acte de naissance véritable de l'Occident en tant que puissance impériale.
L'époque romane fut-elle, alors, un grand chambardement culturel où le reflux de l'Islam en Terre sainte et sur une grande partie de la péninsule ibérique aurait favorisé l'afflux massif de déracinés et d'idées héritées de la sagesse des anciens Grecs ou des Orientaux ? Selon une interprétation historique aujourd'hui datée, c'est à cette époque que l'Église, devenue le premier pouvoir centralisé en Europe, aurait repris à son compte les vestiges de nombreuses croyances païennes ou exotiques, aussi bien celtes que mauresques, voire égyptiennes ou babyloniennes. Parce qu'elle se sentait suffisamment puissante et installée pour les digérer.
                                                                                                                              
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Daniel dans la fosse aux lions
"La représentation de Daniel dans la fosse aux lions, visible dans plusieurs églises romanes, a souvent été interprétée de cette manière, continue l'historien. Elle semble en effet imitée de la figure du héros sumérien Gilgamesh à tel point que nous avons l'impression qu'il s'agit du même personnage. Mais bien sûr, cela ne prouve pas que les sculpteurs romans savaient qui était Gilgamesh, simplement qu'ils se sont inspirés de sa représentation".      RETOUR 

Si l'existence d'un lien culturel et historique entre les sculpteurs romans et le héros mésopotamien est peu probable - les derniers scribes capables de lire l'écriture cunéiforme ont disparu à l'aube de notre ère -, l'influence orientale n'est cependant pas à exclure. Mais il s'agit essentiellement d'une influence iconographique. "On repère très tôt dans l'art roman des figures d'inspiration clairement orientale, précise Marcello Angheben.  Avant même les croisades, il existait un trafic relativement intense de reliques en provenance du levant qui arrivaient souvent emballées, non pas dans du papier journal, mais dans des tissus précieux coptes, byzantins, arabes ou sassanides, et parfois accompagnées d'objets décorés des mêmes motifs. Parmi eux, les griffons notamment ont inspiré les sculpteurs qui les ont réutilisés abondamment ds leurs décorations".

Sauterelles et Dragons
Autre exemple de ce style orientalisant : la manière dont étaient représentées les sauterelles sur les enluminures des Beatus, ces grands et beaux manuscrits du récit de l'Apocalypse de saint Jean, ou encore les dragons et les hydres qui semblent venir tout droit des confins de  l'empire Perse sassanide à moins qu'il ne s'agisse de basilics, monstres à têtes de coq terrifiants qui appartenaient au bestiaire médiéval européen. "D'une certaine manière, l'art roman est un orientalisme avant l'heure", résume l'historien.
Le haut clergé a par ailleurs accès, contrairement à une idée répandue et partiellement fausse, à de nombreux textes philosophiques grecs et latins, soit directement par le biais des bibliothèques des monastères, soit par l'entremise de traductions de l'arabe. " Parmi les sources classiques utilisées par les sculpteurs, il est fréquent de retrouver des thèmes de fables grecques célèbres telles celles d'Esope, note l'historien, comme le corbeau et le renard. Mais leurs intentions sont morales et religieuses, non pas profanes." Peut-être parce que le christianisme est d'abord une religion orientale, les églises romanes s'ornent de créatures étrangères à la culture européenne.

Le lion et l'ours
Le lion, animal biblique, aura ainsi tendance à supplanter comme symbole de puissance et de royauté l'ours, souverain des animaux typiquement européen dont de très nombreuses villes tiennent leur nom, comme Berlin ou Bem
(ber signifie " ours " en langue germanique). Cet animal symbolique, auquel était rendu un culte populaire depuis la préhistoire, est aujourd'hui encore fêté à travers le folklore des pays d'Europe centrale, de la Suisse à la Roumanie en passant par le Tyrol. Au sortir de l'hiver, des hommes sauvages sortent des
forêts déguisés en ours pour fêter le renouveau de la végétation et les futures montées de sève (voir le mythe d'Orson et les hommes sauvages).

L'Église a livré une guerre sans merci à l'ours, animal païen. Une anecdote de la vie de saint Amand a été inventée à cet effet. Elle raconte comment le saint, qui se rendait en  pèlerinage, dompta l'animal qui venait de dévorer son âne et lui fit porter ses bagages. Ainsi ridiculisé, il finit par rejoindre la horde maléfique des suppôts de Satan, avec les griffons et les dragons.

Mélusine
Mélusine est souvent représentée comme une femme dont seul le haut du corps dépasse d'une étuve où elle se purifie de sa malédiction. La mythologie européenne, avec ses personnages célèbres tel le roi Arthur, inspire elle aussi les artistes romans et leurs commanditaires du clergé. " La première représentation du roi Arthur ne se trouve pas en France ou en Angleterre, comme on aurait pu s'y attendre, mais dans l'église de
Modène, en Italie, et date du début du XXIIè siècle
, remarque Marcello Angheben. Il y apparaît comme le symbole du bon chevalier tel que le
thème populaire le décrit. L'Église , dons ce cas le valorise. Toutefois,
la deuxième plus ancienne représentation d'Arthur, une mosaïque de l'église d'Otrante, également en Italie, lui fait chevaucher une chèvre. Cette fois, l'Église le diabolise car elle l'assimile à un nain, seul capable de chevaucher cette bête, et en fait donc un roi des enfers, l'emblème du péché d'orgueil. La même ambivalence vaut pour les représentations d'Alexandre le Grand par exemple. "

Avec les personnages des mythes européens, l'intention de l'
Église est manifeste. Les clercs et les artistes connaissaient très certainement les histoires de la fée Mélusine ou du roi Arthur et c'est donc en toute connaissance qu'ils s'en sont servi. Pour les assujettir et imprimer leur message. Car l'art roman, par définition empreint de sacré, évite les représentations véritablement profanes. Les figures en apparence totalement dépourvues de signification religieuse sont donc très rares. Mais elles existent. Modestes et souvent plus paillardes que païennes. Des animaux musiciens, des hommes au sexe érigé, des personnages à postures obscènes, parfois scatologiques, des couples en train de copuler ornent de temps à autre chapiteaux et modillons. Si les animaux musiciens apparaissent dans quelques fables, notamment l'âne, les scènes érotiques ou irrévérencieuses sont plus difficiles à interpréter. Survivances de Priape, le dieu grec au phallus démesuré, ou de rites populaires de fertilité voire, pourquoi pas, facéties de la part des artistes, la quasi-absence de documents écrits autorise toutes les spéculations.                                 P.J.- B.                                                              RETOUR  

La sirène
Une autre grande figure de la culture traditionnelle européenne, la sirène, a subi le même traitement de la part des artistes romans. " Les sirènes sous la forme de créatures mi-femme mi-poisson sont probablement d'origine britannique ou irlandaise, explique Marcello Angheben, contrairement aux sirènes grecques qui étaient des femmes-oiseaux. On les retrouve souvent sur les chapiteaux romans où elles tiennent un rôle qui n'a rien à voir avec la mythologie celte. Elles représentent, tout comme les femmes dont les seins sont mordus par deux serpents, la luxure, la femme dépravée sous l'emprise du démon. " . L'image populaire est ainsi détournée de sa fonction traditionnelle pour servir le dogme chrétien.
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La légende de Mélusine


" Fille de la Fée Presine et du roi d'Écosse Elinas, Mélusine détient de grands pouvoirs magiques. Pour venger sa mère, trahie par Élinas, Mélusine et ses deux soeurs, Mélior et Palestine, enferment leur père dans la montagne magique de Northumberland. Presine qui n'accepte pas ce châtiment, punit Mélusine, qui est l'aînée, et la frappe d'un sort redoutable : tous les samedis, elle sera transformée pour moitié en serpent. Très belle jeune femme les autres jours de la semaine, Mélusine trouve l'amour en la personne du seigneur Raymondin, lors d'une partie de chasse au cours de laquelle celui-ci tue accidentellement son oncle, le duc de Poitiers. Mélusine fait innocenter le jeune homme et lui demande de promettre en retour de ne jamais chercher à la voir les samedis. Ils se marient et ont dix enfants, tous affublés d'un vilain défaut, un poireau sur le nez ou un visage contrefait. Grâce à ses pouvoirs magiques, Mélusine bâtit pour son époux châteaux et forteresses. mais Raymondin avait déjà été marié et le fils aîné de ce premier mariage, Mataquas, finit par convaincre son père de trahir Mélusine. Ce qu'il fait un samedi en découvrant l'horrible vérité. Mélusine la femme-serpent maudit alors son époux et disparaît dans les limbes. "
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Le mythe d'Orson et les hommes sauvages


De tous les animaux sauvages d'Occident, l'ours a sans doute été le plus craint et le plus vénéré. Quant aux légendes s'y rapportant, l'une des plus célèbres au Moyen Age est celle d'
Orson, l'enfant sauvage. 
" Bellissant, soeur du roi Pépin et femme de l'empereur de Constantinople, doit quitter cette ville à la suite d'une machination et choisit de rentrer en France. Alors qu'elle traverse la forêt d'Orléans, elle accouche de jumeaux. De son côté, Pépin décide de visiter sa soeur à Constantinople et traverse lui aussi la forêt. Il y trouve l'un des deux jumeaux, Valentin, qu'il fait baptiser. Le second, Orson, a été enlevé par une ourse. L'animal l'élève et fait de lui un enfant puis un homme sauvage. Après bien des péripéties, Orson sera reconnu puis baptisé, avant de devenir empereur de Grèce à la mort de son jumeau. "
Si Orson rappelle d'anciens mythes, par exemple celui du sauvage Enkidou dans la légende de Gilgamesh, Esaü le velu dans la Bible, Remus et Romulus les fondateurs de Rome, son rôle sert avant tout l'Église et sa politique. Les hommes sauvages, qui ont toujours symbolisé l'autre, le barbare ou le païen, peuvent être sauvés par le baptême. Ce n'est pas non plus un hasard si Orson devient roi de Constantinople. Au XIe siècle, le Grand Schisme divise la chrétienté. Rome s'oppose désormais à l'orthodoxie et il n'est pas impossible que l'ours ou l'homme sauvage aient été, dans l'esprit de certains clercs, le moyen de délégitimer l'Église orthodoxe.
D'autres hommes sauvages apparaissent cependant ça et là dans l'art roman. Velus et parfois dotés de bois de cerf ou de cornes, ce ne sont pas des faunes au sens propre du terme. Ils semblent relever de traditions populaires aujourd'hui oubliées où la bête tient un rôle plus noble que ne le permettait l'Église et, avant elle, la culture gréco-romaine.            RETOUR    

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Par le glaive et la croix


" Nous sommes ici comme des guerriers sous la tente, cherchant à conquérir le Ciel par la violence, et l'existence de l'homme sur la Terre est celle d'un soldat ", clamait dans ses prêches mémorables le célèbre abbé de Clairvaux, saint Bernard. En ces temps seigneuriaux, la société se partage en trois catégories (ordines). Ceux qui travaillent (laborant), ceux qui prient (orant), et ceux qui combattent (pugnant). Le monde du XIè siècle, qui porte si profondément ancrée l'empreinte des hommes de guerre, est une société violente. Une violence féodale que l'Église tentera assez vite de canaliser. D'abord en instaurant des périodes de trêves entre les bellicistes, des " abstinences de guerre " (Paix de Dieu), mais surtout en tentant d'inoculer dans les milieux aristocratiques de cette chevalerie turbulente du nouvel ordre seigneurial
postcarolingien un scrupule et un sentiment religieux rédempteur. Les croisades en seront l'exutoire. Avec le pèlerinage en arme vers Jérusalem et la conquête des Lieux saints, la chrétienté redevient conquérante. Depuis le VIIè siècle, elle n'avait cessé d'être sur la défensive face aux vagues déferlantes des soldats de l'Islam. Or cette nouvelle audace et
cette vitalité rejaillissent dans l'iconographie religieuse.      
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Le Messie à la lance
L'énergie de l'esprit chevaleresque envahit les églises et transparaît dans la multiplication des scènes de combat. L'éthique des guerriers pénètre dans la pierre, dans les encres et dorures des riches enluminures, dans les fresques, les mosaïques. " Chaque thème est l'occasion de
représenter le combat du bien contre le mal "
, rappelle Dany Sandron, spécialiste de l'art médiéval à l'université Paris IV. Car tout est métaphore. Tout est psychomachie. " Ne vous y trompez pas. Il ne s'agit pas des simples évocations de quelques histoires locales, mais bien du combat des vertus contre les vices. " Les vertus figurées par des chevaliers terrassant des monstres hideux. Combat de la Chasteté contre la Débauche. De la Tempérance contre la Colère. De la Foi, reine de toutes les Vertus, contre la Discorde. L'époque romane multipliera ainsi ces représentations à fort contenu moral. Même le monachisme a des allures combattantes. C'est l'emprise des moines blancs de Citeaux (Cisterciens), et des noirs de Cluny (Bénédictins). N'avaient-ils pas, eux aussi, emprunté à l'armée romaine jusqu'au vocabulaire ? Et toute leur morale ne se résumait-elle pas en ce conflit entre vices et vertus ?
" On ne peut pas faire l'impasse sur cette signification profonde de l'art roman ", précise Dany Sandron.
D'autant plus que l'Église, sous la bannière du Christ, brandit la croix comme un étendard. On le voit parfois, cavalier, lance en main. Pour Bernard de Clairvaux, c'est par la
lance et l'épée que se livrera le combat pour l'amour du Christ. Lors de la première croisade, le pape Urbain II, loin d'être en reste, rassurait déjà : " Celui qui sera tué dans cet-
te campagne pour l'amour de Dieu et de ses frères ne pourra douter, qu'il trouvera la rémission de ses péchés et la béatitude éternelle, conformément à la Grâce de Dieu. ".
Et comme le rappelle Régis Debray (1) dans un récent ouvrage, " les milites Christi ne refuseront
aucune effusion de sang pour venir à bout des "ennemis de Notre Seigneur " (voir Les Chevaliers du Christ).        
Si la guerre entre chrétiens est condamnée par l'Église (celui qui tue un autre chrétien répand le sang du Christ) depuis saint Augustin (410), on est moins regardant pour les guerres dites de légitime défense. Pour plaire à Dieu, après tout, on peut tuer des non-chrétiens.  Protéger la sécurité des pèlerins et délivrer les églises de Terre sainte des mains des Sarrasins, c'est livrer une guerre juste, et donc une guerre sainte. Bizarrement, le temps n'a pas conservé sur le mur des églises les traces de représentations faisant référence aux croisades. On peut s'en étonner. " L'époque a volontiers privilégié l'évocation symbolique par rapport à l'évocation réaliste et narrative ", commente Dany Sandron. Surtout dans le domaine de l'art monumental, qui permet de condenser à travers des figures ce que l'on veut illustrer. Pourtant, un vitrail situé dans le choeur de l'abbaye de Saint-Denis était uniquement consacré aux croisades. " On le sait grâce à des reproductions datant du XVIII siècle. " Aujourd'hui, presque tout a disparu.
         B.A.                                                    RETOUR              

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Les chevaliers du Christ

A l'époque romane, les pèlerinages sont un " phénomène de masse qui ouvre la France au monde ". Mais pour garder les chemins de la Terre sainte et protéger les hommes venus de toute la chrétienté, une institution originale apparaît en Orient. Il s'agit des ordres religieux militaires : les milites Christi, chevaliers du Christ, soldats de la guerre sainte. S'ils vivent comme des moines, selon la règle de saint Benoît ou de saint Augustin, ils agissent comme des militaires. Pas dans les excès seigneuriaux des détenteurs du ban - plus brigands que chevaliers -, mais dans les règles de la chevalerie du Christ " revêtus de l'armure de fer et de l'armure de foi ", que décrit l'un de ses plus éminents spécialistes, Alain Demurger, maître de conférences à l'université Paris I. Fondé à Jérusalem, en 1120, le premier ordre sera celui du Temple auquel succéderont ceux de l'Hôpital, de Saint-Lazare, Teutonique, et, parallèlement dans la péninsule ibérique, les ordres de Calatrava, Santiago, Alcantara et Avis.          RETOUR

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


L'Épopée de Gilgamesh


Cette statue colossale du VIIIè siècle av. J.-C. montre Gilgamesh en apparat royal, portant un lion et un bâton à tête de serpent, allusion à deux épisodes de son voyage au-delà de l'océan, en quête d'une réponse  ses interrogations sur la mort.

 

Gilgamesh est le seigneur d'Ourouk en Mésopotamie. Pour deux tiers dieu et un tiers homme, il tire tant de vanité de sa nature, que les dieux, pour rabattre sa superbe, créent le guerrier Enkidou, dont la force égale la sienne. Au cours de la première rencontre, ils se livrent un  terrible combat puis, devenus amis inséparables, ils se rendent ensemble dans la grande forêt pour tuer Khumbaba, " le Grand Mal ". A leur retour, la déesse Ishtar demande à Gilgamesh de l'épouser, mais celui-ci refuse. Folle de colère, elle demande à Anou, son père, d'envoyer un taureau céleste pour ravager le pays. Gilgamesh et Enkidou le mettent en pièce. Mais les héros devront payer ce crime. Enkidou tombe malade et meurt. Gilgamesh se met en route pour consulter Outa-napishtoim, l'ancêtre de l'humanité, afin de savoir pourquoi les hommes sont condamnés à mourir. Son voyage le mène par-delà les limites de la terre et, au retour, il découvre une plante qui rend la jeunesse aux vieillards. Hélas, un jour, alors qu'il s'est arrêté au bord d'une fontaine pour étancher sa soif, un serpent dérobe le rameau magique. Depuis lors, les serpents se régénèrent par la mue, mais les humains continuent de vieillir.       RETOUR