Grue cendrée
|
Nous ne les voyons pas souvent mais leurs
cris de haute altitude nous font lever les yeux. Magnifique ce grand
> qui
file vers une destination lointaine. Aucune raideur d'angle aigu, sur les
deux lignes qui convergent vers l'oiseau de proue, les bêtes s'écartent
parfois à droite ou à gauche... On croirait voir deux guirlandes
vivantes.
Celle qui ouvre la route ne voit que
l'espace illimité, mais les autres ne suivent pas en file indienne :
chacune a devant elle, le vide grand ouvert. De temps en temps, la grue de
tête laisse la place à l'une de ses compagnes et reprend dans le
V une
place modeste : les Anciens, attentifs à cette rotation de la
responsabilité, y voyaient un symbole de la démocratie !
Le
V semble parfois partir à la dérive, mais le cap demeure. En octobre,
lorsqu'on a la chance de les apercevoir, combien sont-elles dans le grand
ciel vide au-dessus des paysages enluminés ? Quatre-vingt-dix environ,
données à la joie de voguer, mues par une irrésistible exigence
intérieure, vers un pays ou l'hiver est de douceur et la nourriture
abondante. Au gré des " ascendances " d'air chaud, elles
planent mais, s'il le faut, à grands battements d'ailes, elles peuvent
traverser la Méditerranée entre la Grèce et l'Égypte.
Dans
la belle suite qui s'éloigne et semble faire au loin des gestes d'adieu,
combien font le voyage pour la première fois, ivres d'inconnu ? Nous
sommes émus en les voyant disparaître, car une part de notre être et de
notre mystère vient de passer et de nous fasciner un instant, comme si
s'était éveillé en nous quelque désir migratoire vers un inconnu
inaccessible, plus essentiel que tout !
Reprendrons-elles
leur plan de vol, les reverrons-nous ?
Il nous faut guetter... guetter...
|